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Actifs numériques : un patrimoine invisible, mais bien réel

Le 06 novembre 2025
Actifs numériques : un patrimoine invisible, mais bien réel
Votre notaire décrypte les enjeux juridiques, fiscaux et successoraux des actifs numériques (cryptomonnaies, NFT, blockchain) dans le patrimoine personnel et professionnel.

Vous détenez des cryptomonnaies, un NFT ou envisagez d’investir dans le métavers ?

Que vous soyez entrepreneur ou particulier, vous possédez peut-être déjà des actifs numériques sans mesurer pleinement leurs implications juridiques. Or ces biens virtuels, autrefois marginaux, constituent désormais une réalité patrimoniale à part entière. Selon les dernières études de l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan), près de 10% des Français détenaient des cryptoactifs en 2024, et près d’un Français sur deux envisage d’y investir. Dans ce nouvel univers, comprendre la nature de ces actifs et les enjeux juridiques qu’ils soulèvent devient essentiel.

Comprendre les actifs numériques : une nouvelle catégorie de biens

La loi française, par l’intermédiaire du Code monétaire et financier, a reconnu l’existence des actifs numériques et leur a donné un cadre juridique précis. Cette notion englobe plusieurs réalités techniques et économiques, qu’il convient de distinguer pour en mesurer la portée juridique.

Les cryptomonnaies (comme le Bitcoin*) en sont la forme la plus connue : il s’agit de représentations numériques d’une valeur qui ne sont ni émises ni garanties par une banque centrale. Bien qu’elles ne disposent pas du statut de monnaie légale, elles peuvent être utilisées comme moyen d’échange entre particuliers ou entreprises. À côté de ces devises virtuelles, la catégorie des jetons – ou tokens – désigne des biens incorporels représentant un ou plusieurs droits, enregistrés et transférables via une technologie de registres distribués* (comme la blockchain*).

Les NFT (jetons non fongibles) occupent, eux, une place singulière : ils sont uniques, non interchangeables, et leur valeur découle de leur rareté ou de leur usage. Le NFT sert avant tout à certifier la propriété et l’authenticité d’un actif sous-jacent, souvent une œuvre d’art physique ou numérique.

Sur le plan juridique, une étape importante a été franchie avec l’ordonnance du 15 octobre 2024, qui a précisé la nature de ces biens : les actifs numériques sont désormais qualifiés de biens meubles incorporels négociables. Ils peuvent donc être cédés, nantis ou apportés en société. Toutefois, leur détention ne s’appuie pas sur la possession matérielle, mais sur le contrôle de la clé privée, élément technique permettant d’accéder et de transférer les fonds. Détenir un actif numérique, c’est donc détenir le pouvoir d’en disposer ; perdre la clé, c’est perdre irrémédiablement le bien.

De nouveaux enjeux patrimoniaux

Les actifs numériques changent la façon dont on pense le patrimoine. Contrairement à un compte bancaire ou à un bien immobilier, ils ne dépendent d’aucune institution centrale : ils sont détenus et contrôlés uniquement par la personne qui possède la clé privée, ce code d’accès indispensable pour les utiliser. Cette autonomie séduit, mais elle complique aussi les choses lorsqu’il faut partager, transmettre ou simplement prouver leur existence.

Prenons un exemple : dans un couple marié sous la communauté, les cryptomonnaies achetées pendant le mariage appartiennent en principe aux deux époux. Les revenus tirés de ces actifs (comme ceux générés par le lending* ou le staking*) sont également considérés comme des fruits communs. Toutefois, en cas de divorce, le manque de collaboration du détenteur de la clé privée pose un obstacle majeur à la preuve de l'existence et de la valeur de ces actifs. Contrairement aux comptes bancaires (FICOBA) ou aux contrats d'assurance-vie (FICOVIE), aucun fichier centralisé ne permet au conjoint lésé de retrouver les actifs numériques dissimulés.

En cas de séparation ou de succession, cette opacité peut donc entraîner la perte pure et simple des actifs. Sans mesure d’anticipation, un patrimoine numérique peut littéralement disparaître avec son détenteur.

Ainsi, la question de la transmission est centrale. Depuis la loi du 16 février 2023, le testament numérique est reconnu comme un outil valable pour organiser la succession des biens immatériels, y compris les accès aux portefeuilles numériques.

Certains choisissent de confier leurs clés à un tiers de confiance ou de les stocker dans un coffre-fort numérique, afin d’assurer leur traçabilité et leur sécurité. D’autres optent pour des contrats de transmission anticipée ou des conventions entre héritiers pour prévenir les litiges.

Autre défi : la valorisation de ces biens numériques. Contrairement à des placements traditionnels, la valeur d’un Bitcoin ou d’un NFT peut varier du tout au tout en quelques jours. Évaluer ces actifs pour une succession ou une déclaration fiscale demande prudence et rigueur. Des outils d’estimation spécialisés commencent à émerger pour répondre à cette exigence.

En résumé, les crypto-actifs offrent des perspectives intéressantes, mais leur gestion demande anticipation et accompagnement. Un conseil professionnel permet d’éviter les écueils juridiques et techniques, et de s’assurer que ce patrimoine du futur soit protégé comme les autres.

Fiscalité des actifs numériques : un cadre en construction

Les actifs numériques ne sont pas hors du champ de l’impôt. En France, leur fiscalité s’est progressivement précisée afin d’encadrer les plus-values et les revenus qu’ils génèrent. Concrètement, les gains réalisés lors de la vente de cryptomonnaies ou de jetons numériques sont soumis à l’impôt sur le revenu, au même titre que d’autres placements financiers. Le taux varie selon la situation du contribuable, mais le principe est simple : toute plus-value doit être déclarée.

Lorsque l’activité devient régulière — par exemple pour ceux qui pratiquent le minage* ou le staking* —, les revenus sont considérés comme issus d’une activité professionnelle et imposés en conséquence.

En cas de donation ou de succession, les actifs numériques sont traités comme des biens meubles, c’est-à-dire intégrés à la valeur globale du patrimoine transmis. Ils sont donc soumis aux droits de mutation selon le lien de parenté, mais ne bénéficient pas des abattements réservés aux dons de sommes d’argent.

Enfin, les détenteurs d’actifs numériques doivent veiller à être en règle vis-à-vis des obligations déclaratives renforcées en 2025 : les comptes ouverts sur des plateformes étrangères doivent être signalés à l’administration fiscale avec précision, en indiquant leur localisation, leur nature et leur valeur estimée. Un oubli ou une omission peut entraîner des sanctions financières. Là encore, mieux vaut anticiper et se faire accompagner pour éviter toute mauvaise surprise.

En conclusion

Les actifs numériques représentent un pan émergent mais incontournable du patrimoine contemporain. Leur intégration dans la sphère juridique et fiscale s’accélère, tandis que les risques liés à leur méconnaissance demeurent considérables. Pour le particulier comme pour le chef d’entreprise, il est devenu essentiel de sécuriser la détention, la transmission et la fiscalité de ces biens immatériels.

Le notaire joue ici un rôle central. En tant que juriste de la transmission et garant de la sécurité juridique, il accompagne ses clients dans l’identification et la valorisation de leurs actifs numériques, rédige les testaments adaptés, prévoit les mécanismes de transmission et veille au respect des obligations fiscales. Il peut aussi proposer des solutions contractuelles entre époux ou héritiers pour prévenir les litiges liés à la détention des clés ou à l’accès aux portefeuilles numériques.

Dans un environnement encore en construction, marqué par l’arrivée du règlement européen MiCA* et l’évolution rapide des pratiques, le recours à un professionnel du droit n’est plus un luxe, mais une nécessité. Se faire accompagner, c’est garantir que ces nouveaux biens soient intégrés à votre patrimoine avec la même rigueur et la même sécurité que vos actifs traditionnels.

LEXIQUE

Voici un coup de pouce pour comprendre le vocabulaire nouveau des actifs numériques :

Bitcoin : monnaie numérique décentralisée, c’est-à-dire qu’elle ne dépend d’aucune banque ni d’aucun État, créée en 2009.

Technologie de registres distribués : système informatique permettant de stocker et de partager un registre de données (comme des transactions) entre plusieurs participants, sans autorité centrale. Chaque acteur détient une copie identique du registre, mise à jour collectivement.

Blockchain : forme particulière de technologie de registres distribués, la blockchain fonctionne comme une chaîne de blocs contenant chacun un ensemble de transactions validées et horodatées. Ces blocs sont liés entre eux de manière sécurisée, rendant la falsification pratiquement impossible.

Lending : pratique consistant à prêter ses cryptomonnaies à d’autres utilisateurs via une plateforme dédiée, en échange d’un rendement ou d’intérêts. Le risque principal est lié à la fiabilité de la plateforme et à la volatilité du marché.

Minage : processus par lequel certaines cryptomonnaies sont créées et validées. Les « mineurs » utilisent la puissance de calcul de leurs ordinateurs pour résoudre des équations complexes et vérifier les transactions, en échange de nouveaux jetons.

Staking : méthode alternative au minage, utilisée par certaines blockchains (comme Ethereum). Elle consiste à bloquer des cryptomonnaies pour participer à la validation des transactions et recevoir une rémunération en retour. C’est une façon de sécuriser le réseau tout en générant un revenu passif.

MiCA (Markets in Crypto-Assets Regulation) : règlement européen adopté en 2023, qui encadre les émetteurs et prestataires de services liés aux crypto-actifs au sein de l’Union européenne. Son objectif est de protéger les investisseurs, de lutter contre les abus et de créer un cadre commun pour les cryptomonnaies et les plateformes d’échange.

Nos sources - Pour aller plus loin

  • Adan (Association pour le développement des actifs numériques), Web3 & Crypto en France et en Europe : vers une adoption durable et institutionnelle, rapport, 2025, Consulter la source
  • Code monétaire et financier (C. mon. fin.), art. L. 54-10-1 et suivants
  • Union européenne, Règlement (UE) 2023/1114 du 31 mai 2023 relatif aux marchés de crypto-actifs (MiCA), Consulter la source
  • Code général des impôts (CGI), art. 150 VH bis et 1649 bis C.
  • Actes pratiques et stratégie patrimoniale - 1 Avril 2025 – n°2, LexisNexis.